Combien de fois entend t’on cette petite phrase lorsque l’on promène son chien ?
A mon goût… trop souvent.
Il y a quelques temps, j’avais écrit un article au sujet de son homologue « Il est gentil ? » , mais finalement, je pense qu’il y a à dire quelque chose de plus sur le fameux « il n’est pas méchant ».
Etant la propriétaire de deux chiens assez mal codés – Fausto étant parfaitement contradictoire dans ses interactions avec ses congénères et Mimi étant absolument effrayée par toute demande sociale – je reste attentive aux allers et venues de chiens dans le cercle proche de l’un ou de l’autre. En règle générale, je promène mes chiens en liberté puisqu’ils ont un bon rappel mais adopte systématiquement la même attitude envers l’un et l’autre à l’approche d’un chien : je rattache Fausto et laisse Mimi en liberté. Pour l’un, dans un objectif de ne pas déranger l’autre chien, car Fausto, dans ses contradictions langagières, peut et le fait très souvent, provoquer des tensions, qui le rendent nerveux… bref, vous voyez l’idée. Pour l’autre, je préfère lui laisser l’opportunité de gérer sa distance de sécurité seule, ce qui l’a toujours rassurée et ce qui lui a permis de faire d’énormes progrès d’ailleurs.
Ce « protocole » de rencontre avec un ou plusieurs autres chiens, je le maintiens quelle que soit l’attitude de l’autre, qu’il soit en laisse ou non, et selon l’attitude du maitre et de son chien, je détache Fausto, ou non.
En me voyant rattacher Fausto, nombre de propriétaires de chien s’empressent de me signifier que le leur « n’est pas méchant », comme si le simple fait de mettre en laisse un chien le protégeait par une armure invisible, magique, à l’épreuve de tout… bref. Litanie à laquelle je réponds selon mon humeur par un « le mien non plus » ou « le mien, si », ou encore « je me doute bien ». C’est à dire, en règle générale, par des mots qui n’ont pas plus de valeurs que ce qui les a produit, tombent de toute manière dans une oreille peu encline à écouter et ne sert à rien puisque, l’autre chien est déjà la truffe collée à Fausto ou en train de courir derrière Mimi.
Et c’est là que, finalement, cette phrase produit en moi un agacement viscéral : car, elle est quasiment systématiquement prononcée par un maitre qui reconnait de facto en la prononçant, que l’approche de son chiens est trop brusque, trop rapide, trop envahissante, mais qui sait que, au bout du compte, son chien préfèrera s’éloigner si l’autre grogne un peu… mais lui, et lui seul, le sait. Seulement voilà, Fausto, lui, ne le sait pas, Mimi non plus, et moi non plus. Et je pense pourtant être une propriétaire de chien d’un zen absolu en situation d’interactions entre chiens.
Cette petite phrase donnée comme une table de lois, de celles qui devraient déclencher tout un tas de comportements spécifiques à l’égard du chien qui « n’est pas méchant », lancée comme un dogme qui écarterait toute contradiction.. et bien, outre le fait qu’elle est le relief d’une inculture canine, d’un nombrilisme humain éhonté, elle admet surtout : « mon chien est comme ça – c’est à dire la plupart du temps envahissant – je le sais, mais bon, je me fous pas mal de ce que ça va provoquer chez le tien », elle souligne le fait que le propriétaire ne va même pas essayer de comprendre pourquoi une telle approche peut être problématique pour l’autre chien ou le sien et enfin, elle dédouane le fait de laisser aller à sa guise le « chien qui n’est pas méchant.. puisqu’il n’est pas méchant » sans se soucier de savoir si celui en face peut ne pas l’être, ou être craintif ou réactif, ou malade… c’est à dire ne pas être capable d’assurer un dialogue social détendu, avec un chien qui arrive de manière beaucoup trop impolie pour ne pas provoquer à minima une tension. Et si, par malheur, un chien signale à celui « qui n’est pas méchant » que l’approche est trop vive, c’est évidemment lui qui n’est pas sociable, agressif ou trop craintif, bref, lui qui a un problème.
Et bien non, pas du tout. Ce n’est pas le chien qui réagit de manière parfaitement canine, en grognant par exemple, qui a un souci de communication mais bien celui qui, débordé par son stress, son anxiété ou son excitation, fonce bille en tête sur un congénère, ne respecte pas un rythme d’approche qui s’assure que l’autre a bien compris ses intentions, regarde fixement en arrivant poitrail devant, queue bien haute, en essayant de limiter les déplacements de celui qui voudra à tout prix signifier que « non, je ne veux pas de problème ».
Foncer sur un congénère inconnu n’est pas normal dans le monde canin. Courir derrière un chien qui a dit des dizaines de fois « laisse moi tranquille » et continuer à courir après, ce n’est pas normal non plus. Cela n’a rien à voir avec un trait de gentillesse ou de méchanceté mais dénote simplement un mauvais codage canin, ou pour le dire autrement, une mauvaise acquisition de la grammaire canine. Les chiens qui adoptent ce type de pratiques ne sont pas super sociables, non, pas du tout, ils sont juste mal codés, mauvais communicants et le fait de ne rien en dire ou pire, de renforcer ce type de comportement risque à terme de provoquer des bagarres, des tensions où toujours ce sont les chiens qui trinquent.
Apprendre à décrypter les codes canins, c’est la première pierre à l’édifice d’une bonne relation et c’est s’assurer d’apprendre à son chien à devenir un chien sociable.